Retour à l’école. Visions croisées.

Dans la même veine que l’article que j’ai publié hier, je remercie vivement Audrey, du blog appelezmoimadame, avec qui nous avons eu de nombreux échanges la semaine dernière. Nous vous livrons une partie de nos échanges, qui datent du milieu de semaine dernière.
Merci à toi Audrey !

Je suis Audrey, 38 ans, maman de trois enfants, un bébé, une grande section maternelle et un collégien. J’habite en zone rouge. Je suis professeure en lycée depuis 14 ans.

Moi c’est Coralie, 40 ans pile le jour de l’annonce de la fermeture des écoles (!!), trois enfants, un en petite section, une en CP et la grande en CE2. J’habite en zone verte et en zone peri-urbaine, voire rurale. Je suis enseignante dans le primaire pour la 2ème année (reconversion pro)

Avez-vous hésité à rescolariser vos enfants ?

Je crois avoir eu peur lors de l’annonce présidentielle, mais ma peur a été nourrie par les réseaux sociaux et autres discours anxiogènes. J’ai pris le temps de réfléchir avec son papa, deux jours après nous étions d’accord : elle retournerait à l’école si l’école réouvrait. Ma sœur, infirmière et rationnelle m’a aussi gentiment remis les idées en place.

Nous n’avons jamais craint le virus car nous sommes dans une zone peu dense et excentrée des grandes villes. Nous ne sommes pas à risques et n’avons pas de la famille proche à risques et nous ne côtoyons pas des foules. Nous avons, néanmoins, respecté le confinement et il nous a paru socialement important que nos enfants retournent à l’école si cela était possible. Ajoutons que je me dois aussi d’assurer pour mes élèves en présentiel et que mon conjoint ne peut pas télétravailler avec les 3 enfants. C’est pour mon dernier, en PS, que nous avons cherché une autre solution.

Comment les maitresses ont-elles préparé le retour en classe des enfants ?

La maîtresse de ma fille a envoyé des mails très rassurants en parallèle du protocole sanitaire. Elle a indiqué avec qui serait notre fille, comment la préparer. Elle nous a dit qu’elle rendrait l’ensemble festif. Pour finir elle a envoyé la photo de la table de notre fille avec son matériel et des jeux en classe. La petite était préparée.

En tant que maman, et parents d’élèves de l’école de mes enfants, nous avons rapidement été informés par la directrice et nous étions là pour faire remonter les craintes des parents. La question de la place pour mes enfants ne s’est pas posée car mes enfants sont prioritaires de part mon métier d’enseignante. Nous avons la chance d’avoir un maire qui a donné les moyens à l’école pour déployer au mieux le protocole. Nous avons reçu le protocole d’accueil des enfants, permettant ainsi d’en discuter et de désamorcer des angoisses qui auraient pu apparaître.

En tant que maîtresse la situation a été beaucoup plus complexe, car nous n’avons pas l’appui du maire et devons composer avec les moyens qu’il accepte de mettre en place. Notre position est inconfortable et pas toujours facile à faire comprendre aux parents. Nous avons dû faire des choix pour l’accueil, jusqu’à fin mai dans un premier temps. Nous avons beaucoup réfléchi en équipe pour accueillir les enfants dans les meilleures conditions sans que cela soit anxiogène pour eux (ou pour nous), notamment avec les plus jeunes (pas de maternelle chez moi). Ma collègue de CP a pris des photos de la salle de classe, a pris des photos des enseignants qui se relayeront auprès des enfants pour leur envoyer et les rassurer.

Avez-vous l’impression de les envoyer en prison ? De les priver de liberté ?

Absolument pas, j’ai eu l’impression de priver ma fille à la maison, à l’école elle peut parler, rire, jouer, échanger, partager avec ses copines et sa maîtresse.

Pas du tout ! Ma petite, plus solitaire, serait plus facilement restée à la maison par confort. Ma grande a besoin de voir ses copines, sa maitresse, de voir du monde et pas de tourner en rond à la maison !
Elles peuvent se voir sans se toucher, elles peuvent interagir sans se toucher, elles peuvent jouer sans se toucher. Elles peuvent se parler sans se toucher. Est-on privé de liberté si on ne se touche pas ? Non !

Ceci est une prison...

Ceci est une prison…

Est-ce que la distanciation nuit aux interactions ?

Justement non, c’est ce que j’aborde en dessus. Mes enfants m’ont épaté par leur adaptation !
On peut aussi parler des deux mois de distanciation de leurs copines ?
Et bien déjà là, elles se sont réinventées ! Hop un appel vidéo à une copine, et c’était parti pour un après-midi de jeux de société par téléphones interposés ! Interactions ?  Vous avez dit interactions ?

Comment réagissent les enfants ?

Lundi soir, nous avons préparé les cartables, comme après un retour de vacances. Mardi matin, elles étaient excitées comme des puces et elles étaient prêtes 30 min avant !
Nous les avions préparées au fait que ce serait différent.
Devant l’école je les ai senties un peu déstabilisées par la désinfection des chaussures (mais on en a fait un jeu « tenir à cloche pied en tendant l’autre pied à la maitresse »). J’ai eu un pincement au cœur quand je suis partie et qu’elles étaient seules sur leur marque dans la cour.
Le midi elles ne tarissaient pas d’éloges sur leur matinée, et le soir elles étaient enchantées !

A la question « ce n’a pas été trop dur dans la cour ? » (la cour est divisée en zones) « oh non c’était génial ! Pour se dire des secrets, on se met au bout de zone là où il n’y a personne, comme ça on peut se parler normalement, vu qu’on ne peut pas se chuchoter dans l’oreille ! ». Leur capacité d’adaptation m’a presque étonnée (et pourtant on sait comme les enfants sont étonnants !). Nous, adultes, ne voyons que des zones délimitées, qui pourraient nuire à leur liberté de circulation, eux y voient un espace de jeux différent et sans se poser de question ils le réinventent !

Ceci est une cour d’école

Beaucoup d’enfants déjeunent à la cantine lorsque les parents ne peuvent pas les récupérer pour la pause méridienne. Quelles sont les réactions des enfants ?

Ma fille voulait pique-niquer dans la classe, elle est très déçue que nous aillions la chercher.

Ahah depuis l’annonce du retour en classe et du déjeuner pique nique qui sera pris en classe, elles n’attendent que de ça. Nous avons la possibilité de les récupérer le midi, ce que nous allons faire la plupart du temps ! Et pour leur faire vivre cette expérience dont elles ont très envie, nous les laisserons une à deux fois le midi en classe !

Une chanson à conseiller aux enfants ?

Mon chouchou Aldebert a enregistré une chanson « le corona minus »…Les bons gestes à adopter dans une chanson entrainante et qui colle à son style !
Vous pouvez aussi montrer la vidéo faite par Bout De Gomme (une référence pour les professeurs des écoles) : https://www.youtube.com/watch?v=iaBi4ni_3No&feature=share&fbclid=IwAR19ySXdXogAQx0rR0wAXRbUk_p7SSFo_-rJGbfxuO88yuzUQC0Q995RaG0

Etes-vous contente de retrouver vos élèves ? Quels apports par rapport au distanciel ?

Je n’ai pas encore retrouvé les miens mais j’ai hâte et j’espère que cela sera possible. Les apports ? Les réponses aux questions spontanées, la construction collective, l’échange, le débat, l’enrichissement. Pouvoir nourrir davantage les élèves, pouvoir aider les élèves qui ont besoin. Le tout en petit effectif.

Je n’ai pas encore retrouvé les miens non plus et ce sera très partiellement le cas sur le mois de mai.
Le distanciel a crée une toute autre relation avec eux mais aussi avec leurs parents. Une relation de confiance s’est établie. J’ai créé des supports que j’espère le plus clair possible pour aider les élèves mais aussi guider les parents pour qu’ils ne se sentent pas démunis.
Les classes virtuelles sont très chouettes, avec des élèves motivés et des petits groupes de travail, et des élèves tout intimidés. 
Nous avons même fait une vidéo tous ensemble pour se souvenir de cette année si particulière. Ils me manquent mais je suis infiniment fière d’eux !

Avez-vous peur ? Pour vos élèves ? Pour vos enfants ? Pour vous ?

Non absolument pas. Je connais les gestes barrières et notre retour se fera en appliquant le protocole. Ma sœur est infirmière, elle n’est pas rentrée avec le Covid 19 chez elle.  Je ne suis pas personne à risques, mes élèves me manquent vraiment.
Je n’ai pas peur pour ma fille, elle a compris les gestes barrières et elle est tellement mais tellement heureuse de retourner à l’école.

Je n’ai pas peur pour mes élèves, si ces derniers respectent les gestes barrières ils ne risqueront rien. Je suis l’adulte, je les rappellerai autant que nécessaire.
Je pense que mes enfants risquent davantage dans la rue, en magasin qu’à l’école. D’ailleurs ils ne sortent pas dans la rue et ne vont pas dans les magasins ^^

Je n’ai pas peur, peut-être est-ce un tord, mais nous avons la chance (mes élèves et ma famille) d’être dans un milieu privilégié. Je sais que le virus ne choisit pas le « milieu » mais nous sommes informés, accompagnés à l’école, accompagnants à l’école et à la maison pour appliquer et faire appliquer les gestes dit barrières pour éviter la transmission du virus.
Pour ma famille, nous n’avons pas prévu de grandes retrouvailles ou de rassemblements dans les temps à venir. Nous continuerons de faire attention comme nous le faisons depuis ces dernières semaines. Nous prendrons simplement plus de précautions au retour de l’école.

Et si on re(confine) ?

Elle aura revu sa maîtresse, sera retournée en classe, aura travaillé en même temps que d’autres enfants, aura appris de nouvelles choses, se sera enrichie des échanges au sein d’un petit groupe avec les autres camarades. Elle pourra patienter jusqu’en septembre le cœur et l’esprit remplis de bons souvenirs, sans peur et sans crainte pour la rentrée.

Nous aurons essayé, nous aurons donné une chance à la vie à l’extérieur et nous nous reconfinerons ensemble, en reprenant notre rythme qui nous convenait plutôt bien !

Une chose à ajouter ?

Je remercie les maitresses, celle de ma fille, Coralie, d’avoir partagé du positif, d’avoir rappelé la faculté des enfants à se réinventer, à s’adapter, à s’amuser.
L’école est pour moi indispensable. Dans le monde, des enfants marchent des heures pour s’y rendre. Ma fille a quelques pas à faire et à se tenir loin de ses camarades. Elle a par contre tellement à y gagner. Elle aura appris à être raisonnée, à ne pas avoir peur, à remettre en cause ce que les images, les discours peuvent laisser à penser. Elle est prête pour l’école primaire.

Je ne remercie pas les partages anxiogènes des médias, les partages anxiogènes de certains parents, les critiques des parents, les questions des parents curieux… Ma fille n’est pas un cobaye. Cette crise a permis de révéler beaucoup de l’être humain et tout n’est pas beau. 

L’école est pour nous une priorité, un indispensable, notre fille n’est pas en difficulté, nous ne voulons pas nous en débarrasser, nous souhaitions juste le meilleur pour elle. Et nous avons compté : il restait 9 semaines de classe. En tant qu’enseignante, même s’il y a des ponts c’est énorme. Une journée de classe est intense et les enfants en ressortent enrichis.

Je suis consciente que chaque situation est différente, chaque passif avec la maladie aussi, chaque perception aussi. Personne ne peut aller contre des convictions ou des peurs viscérales.
Je vois beaucoup de critiques et de négatif sur les réseaux, notamment sur cette réouverture des écoles, sujet qui me touche de près. Les différences sont énormes d’un établissement à l’autre, d’une commune à l’autre et certains voient ça comme des injustices…Mais retenez une chose : les équipes enseignantes font tout ce qu’elles peuvent pour appliquer un protocole sanitaire lourd, pour accueillir dans des conditions décentes les enfants, pour ne pas montrer leurs propres angoisses ou failles. Dites vous que si une école ne réouvre pas, ou que si peu de créneaux vous sont proposés, ce n’est pas contre vous, mais plutôt parce qu’il n’y a pas de solutions meilleures qu’une autre et que le « bénéfice-risque » a longtemps était discuté.

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